Nous nous sommes entretenus avec Christian Debrus, fondateur et président du Festival du Vigan.
Comment as-tu eu l’idée de commencer un festival de musique au Vigan il y a 50 ans ?
J’avais une vingtaine d’années à l’époque, déjà jeune pianiste, j’étais élève du grand pianiste Vlado PERLEMUTER, qui avait lui-même étudié auprès de Maurice RAVEL, et de son assistante au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, Suzanne ROCHE. Cette dernière organisait une petite saison musicale dans son grand duplex à Montmartre, au 59 rue Caulaincourt, où elle recevait les plus grands artistes et où j’ai moi-même été invité à jouer à plusieurs reprises, notamment une fois devant Madame PROKOFIEV une œuvre de son mari. Dans ce salon musical, un peu comme le salon de Madame VAUTRIN dans « La recherche du temps perdu » de Marcel PROUST, se côtoyaient de nombreuses personnalités que j’ai eu la grande chance de rencontrer, telles que le philosophe Vladimir YANKELEVITCH, les compositeurs Olivier MESSIAEN, Marcel MIHALOVICI, Henri DUTILLEUX qui, avec son épouse la pianiste Geneviève JOY, sont devenus par la suite de grands amis.
Pendant quatre ans, j’ai offert mon aide, comme l’ont d’ailleurs fait quelques uns des élèves de Suzanne, nous l’appelions tous par son prénom, en participant à diverses taches matérielles, installation des chaises, tartinage de toasts pour les cocktails, écriture des enveloppes pour les envois de prospectus …C’est donc en partie par cette expérience que m’est venu l’idée d’organiser, à l’été 1976, quatre premiers concerts au Vigan, en ayant créé administrativement en 1975 l’association du COMITE D’ORGANISATION DU FESTIVAL DU VIGAN, et sans avoir la moindre idée, je l’avoue, que cela occuperait une grande partie de mon existence !.
Le choix du Vigan fut simple. Natif de Montpellier, j’ai été élevé jusqu’ à l’âge de cinq ans par mes grands-parents maternels à Bréau où se trouvait la maison de famille au Cap du village, mon arrière grand-mère était d’Esparon. Et, parti par la suite rejoindre mes parents à Paris, je suis revenu chaque été passer toutes mes vacances scolaires dans les Cévennes.
Je tiens à préciser que ce n’était pas à l’époque la mode des festivals, et que, dans toute la région Languedoc-Roussillon, le festival du Vigan fut l’un des premiers importants aux côtés de ceux de Prades, St.Guilem-le-Désert, Villevieille et Uzès. Rappelons que le Festival de Radio-France établi à Montpellier ne fut créé qu’en 1985, dix ans plus tard !. Tous ces autres festivals que je viens de citer ont changé plusieurs fois de directeur, je suis le seul à être resté, fidèle au poste, depuis le début !
Peux-tu partager quelques moments forts ou performances mémorables qui ont marqué l’histoire du festival ?
C’est une réponse bien difficile pour moi à donner, car la sélection des temps forts est bien délicate à faire tant ceux-ci ont été nombreux en 47 éditions de festival !
Les pianistes Khatia BUNIATISHVILI, Bertrand CHAMAYOU, François -René DUCHABLE, Brigitte ENGERER, les violonistes Pierre AMOYAL, Augustin DUMAY, Laurent KORCIA, Patrice FONTANAROSA, les violoncellistes Henri DEMARQUETTE, Gary HOFFMAN, Frédéric LODEON, Xavier PHILLIPS, les chanteurs Gabriel BACQUIER, Régine CRESPIN, Béatrice URIA-MONZON, les clavecinistes Huguette DREYFUS, Pierre HANTAÏ, Scott ROSS. Les guitaristes Alexandre LAGOYA et Emmanuel ROSSFELDER. Les harpistes Marielle NORDMANN et Emmanuel CEYSSON. Romain et Thomas LELEU….
Pour le Jazz : Claude BOLLING, Richard GALLIANO, Stéphane GRAPELLI, Didier LOCKWOOD, Jean-Jacques MILTEAU, Michel PORTAL, Rhoda SCOTT, Memphis SLIM, Martial SOLAL.
Quels défis as-tu rencontrés au fil des ans et comment les as-tu surmontés pour maintenir le festival ?
Le principal défi auquel j’ai dû faire face, notamment au tout début du festival, et auquel je suis d’ailleurs toujours confronté est d’ordre financier. On dit bien que l’argent est le nerf de la guerre, et dans le domaine de la culture le problème des financements est omniprésent !. La culture, et en l’occurrence la musique, ne peut survivre sans soutiens financiers. Dans le budget de notre festival les recettes de la billèterie représentent une part de 35% à 40%, le reste doit être financé par les subventions, le mécénat et les publicités. Les subventions ne sont jamais totalement acquises et chaque année leur renouvellement nécessite un gros travail administratif. Il en est de même pour la recherche du mécénat et des annonceurs publicitaires.
Un autre défi est lié à la politique générale de notre festival, qui est avec des moyens limités, de maintenir son haut niveau de qualité tout en l’ouvrant au plus grand nombre, toutes catégories sociales confondus grâce à des tarifs de places extrêmement raisonnables et à mon réseau personnel de relations parmi les plus grands artistes actuels.
Qu’est-ce qui, selon toi, distingue ton festival des autres évènements de musique classique ?
La principale caractéristique de notre festival est son éclectisme. Depuis sa création, il a fait le choix essentiel de ne pas s’enfermer dans un genre particulier, bien au contraire, le festival s’est efforcé
d’ offrir un éventail le plus large possible de formes de concerts, récitals, musique de chambre, oratorios, orchestres de chambre et symphoniques, et dans les œuvres présentées allant de la musique baroque à la création contemporaine. Son étalement sur une grande partie de l’été permet à son public local de suivre la majorité de ses concerts. Enfin, comme je l’ai déjà indiqué, il est ouvert à tous par ses prix de places très bas, offrant une gratuité totale pour tous les enfants de moins de 12ans, des réductions pour les étudiants et les personnes de plus de 65 ans.
Comment choisis tu les artistes et les programmes pour chaque éditions du festival ?
C’est la partie la plus passionnante et agréable du festival, mais qui ne représente hélas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, que 5 % de tout son travail d’organisation !.
Le « vivier » d’artistes est inépuisable et subit un renouvellement permanent, de même le répertoire des œuvres est immense. Je dois bien entendu tenir compte, quand je travaille sur une nouvelle programmation, des éditions précédentes, pour essayer de présenter une certaine variété et originalité chaque été. Mon but est de faire découvrir aussi de jeunes talents, à l’aube de leur carrière. J’ai personnellement l’avantage d’avoir fait et de faire toujours partie de nombreux jurys de grands concours internationaux qui me permettent de faire de belles découvertes. Plusieurs grands solistes actuels ont donné leur tout premier concert en France dans notre festival !. J’ai également le privilège, grâce à la carrière de pianiste que j’ai pu faire, de connaître personnellement un grand nombre d’artistes et de formations de tout premier plan. Cela me permet, et c’est essentiel, d’obtenir des conditions d’engagement plus abordables….
As-tu constaté des changements dans le public du festival au fil des années, et comment cela a-t-il influencé la programmation ?.
La plus belle progression de notre public, et celle dont je me félicite le plus, a été la part de plus en plus grande « d’autochtones ». Le pourcentage du public local et régional dépasse les 60%, ce qui est extrêmement rare en comparaison avec l’ensemble des autres festivals !. Depuis plusieurs années maintenant la fréquentation du festival atteint une constante allant de 3000 à 3500 spectateurs chaque été. Je reste bien sûr persuadé qu’il y a encore devant nous des efforts et des progrès à faire, notamment envers les jeunes.
Comment envisages-tu l’avenir du festival du Vigan, et quelles sont tes aspirations pour les années à venir ?
Le festival du Vigan, depuis 48 ans, s’est profondément ancré dans sa région où il remplit pleinement sa mission chaque été. Il a été à la fois le point de départ et l’aboutissement d’autres initiatives culturelles locales. La raison toute première de sa réussite et de sa longévité est son très haut niveau de qualité qui le place au niveau des plus grands festivals internationaux. Il reçoit les mêmes artistes que le festival de Montpellier Radio-France ou La Roque d’Anthéron, et quelques fois les a découverts avant eux !.
Sans cette qualité qui le définit, et qui lui a obtenu la confiance et la fidélité de son public, il n’aurait pu devenir ce qu’il est aujourd’hui, et aurait disparu depuis longtemps.
En dehors de cette toute première condition, le soutien des élus locaux et des pouvoirs publics est essentiel ainsi que l’apport de l’association de « ses amis » qui sont de plus en plus nombreux et concernés.
Si ces diverses conditions sont maintenus, et si les sympathiques et efficaces bénévoles, indispensables à son bon fonctionnement répondent toujours présents à l’appel, avec le soutien de tous les habitants de sa jolie cité cévenole et des élus locaux l’avenir du festival du Vigan ne peut être que radieux.
Personnellement je garde le même enthousiasme dans mon implication qu’aux premiers jours, et je consacrerai une grande partie de mon temps et de mon énergie à le faire perdurer.
Quel est ton coin préféré du Sud Cévennes ?
Cette question me fait penser à celle que l’on me pose souvent, lors d’interviews, « quel est votre compositeur préféré » ?, et j’y répondrai de la même manière …quand j’écoute ou je joue Chopin, c’est Chopin, quand j’entends Ravel, c’est Ravel, quand j’entends Mozart, c’est bien sûr Mozart … Quand je suis dans mon petit village de Bréau, c’est Bréau, à St. Martial, c’est St.Martial,
Au bord du Cirque de Navacelles, c’est là.
La variété de notre si belle région est son principal atout. Néanmoins je suis extrêmement sensible à la beauté des Causses, et ma saison préférée dans ces paysages reste l’hiver.