Nous nous sommes entretenus avec Philippe Galant, habitant du Causse de Blandas et archéologue à la Direction Régionale des Affaires Culturelles Occitanie.
Qui es-tu ?!
Je suis ingénieur au ministère de la Culture, je travaille à la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Occitanie où je suis en charge du patrimoine souterrain, du patrimoine mégalithique et du patrimoine néolithique.
Je suis également membre de la Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture.
Je me suis installé ici, sur le Causse de Blandas il y a 23 ans avec mon épouse pour que nos enfants aient un cadre de vie différent.
Comment t’est venue cette passion pour le Causse ?
Je suis originaire de Montpellier, j’ai découvert la spéléologie à 10 ans et l’archéologie à 12. Ma rencontre avec les causses remonte à mes 14 ans, par la spéléologie. Je fus immédiatement charmé par ce territoire qui me paraissait sauvage à l’époque, parce que je ne le connaissais pas.
Quand j’ai fait mes études d’archéologie, j’ai voulu travailler sur une problématique spécifique à la région des Grands-Causses : l’utilisation du milieu souterrain par l’homme au cours de la Préhistoire, une approche socio-économique de ce milieu.
J’ai eu la chance de rencontrer l’ethnologue Adrienne Durand-Tullou que j’avais découvert dans ses livres. C’est une personne qui m’a subjugué et avec qui j’ai pu partager. Elle m’a beaucoup appris, son travail et ses écrits m’ont attiré vers le Causse.
J’ai aussi eu la grande chance de connaitre les géomorphologues Paul et Martine Ambert qui m’ont convaincu de l’intérêt d’étudier l’Homme dans son environnement. Et surtout pour comprendre l’Homme, de lire l’environnement : ce qu’on appelle aujourd’hui la géo-archéologie.
J’ai ainsi acquis une vision très différente du Causse et de l’impact humain sur cet environnement au cours du temps.
Quand l’Homme est-il arrivé sur le Causse et que vient-il y trouver ?
Le milieu caussenard a toujours été en marge des grands courants de population qui se développent, à la préhistoire, dans des zones aux conditions géographiques et climatiques un peu plus accueillantes.
Les Causses et les Cévennes sont des milieux dits extrêmes, qui ont été occupés dans des époques refuges, lors de crises démographiques ou économiques.
C’est en ce sens que les Causses et les Cévennes ont été un berceau de cultures toujours très fortes, marquées et affirmées car elles se sont confrontées à un milieu extrêmement difficile.
Au Paléolithique la chasse va conditionner le mouvement des populations, les gens vont se déplacer avec les troupeaux, au gré des saisons et selon le déplacement des gibiers chassés. Ils s’adaptent à l’environnement en fuyant un territoire lorsque celui-ci devient trop hostile.
Sur les Causses et les Cévennes, les occupations sont ponctuelles et peu importantes en termes de temps et de déchets. Ainsi l’archéologie a du mal à les identifier. C’est à la fin du Néolithique que l’Homme devient producteur. Il va se sédentariser, apporter un mode de vie complètement différent car il va avoir une maîtrise totale de son environnement et l’impacter. C’est l’ouverture du milieu pour des pratiques agricoles, c’est le début de l’agropastoralisme qui a façonné ce territoire..
Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’évolution de l’environnement est liée au contexte socio-économique, c’est la façon que les gens ont de vivre qui conditionne l’évolution du milieu qui les entoure.
L’agriculture pratiquée aujourd’hui n’est pas la même que celle pratiquée il y a 5 000 ans, même si les cibles sont les mêmes : la culture céréalière et l’élevage. L’ouverture des milieux procurait jadis les matières premières en termes de bois et d’espace, on ne faisait jamais de jachères. Aujourd’hui l’agriculture est hyper mécanisée, les moutons sont remplacés par des vaches et le milieu se referme car les pratiques agropastorales traditionnelles diminuent.
Ce n’est pas un milieu sauvage mais un milieu artificialisé qui a été abandonné et dans cet abandon la nature reprend le dessus.
Peux-tu nous parler de tes recherches et découvertes sur le Causse de Blandas ?
J’ai travaillé sur l’économie du milieu souterrain, la relation de l’Homme avec des matériaux qu’on ne trouve que sous terre : l’eau (indispensable à la vie) , l’argile (pour les poteries), la calcite (utilisée pour les céramiques et la parure). Cette nécessité de l’exploration préalable des grottes et des avens et donc de la connaissance à acquérir avant d’utiliser un site souterrain ; c’est la spéléologie préhistorique. J’ai travaillé sur l’habitat, donnée alors absente pour la Préhistoire des Causses. Par la fouille que j’ai conduite sur le site de l’aven de la Rouvière j’ai proposé un modèle de l’habitat à la fin du Néolithique, validé par les découvertes récentes.
Le mégalithisme m’a toujours attiré, comprendre ces pierres dressées et les messages qu’elles véhiculent au travers des millénaires. Les problématiques de l’extraction des matériaux dans de véritables carrières ; le transport de ces pierres de plusieurs tonnes ; leurs mises en forme ; leur érection dans des endroits bien précis ; que de techniques ! Il faut se dire qu’entre ce qu’on voit aujourd’hui d’un menhir et ce qu’il était il y a 5000 ans, le temps et l’érosion ont fait leur travail. L’archéologie nous permet de proposer des restitutions de ce qu’ils étaient avant et là on mesure le génie humain…
Tout ça m’a conduit à m’intéresser à l’évolution du Causse au travers du temps. J’ai pu constater que les paysages que l’on voit aujourd’hui non rien de naturel, ils sont le reflet de l’action humaine, tout est artificiel, il n’y a pas un mètre carré que l’Homme n’a pas modifié ! Mais bon, il me reste encore plein de choses à faire, mais les journées n’ont que 24 h !.
Y-a-t-il eu des découvertes majeures sur le territoire ?
En termes de découvertes scientifiques, ce qui a été très intéressant ces 30 dernières années, c’est autour de l’habitat de la fin du Néolithique, c’est une période cruciale pour ce territoire là, ce sont les premiers agriculteurs qui s’installent et vont impacter leur environnement. Par exemple le recoupement du méandre au fond du Cirque de Navacelles résulte en partie de l’action des agriculteurs de la fin du Néolithique sur le Causse. On leur doit donc le fabuleux paysage qu’on voit depuis le Belvédère !
On ne connaissait pas l’habitat de ces populations, on connaissait les pierres dressées, l’utilisation des grottes mais pas leur habitat. Et donc cet habitat, j’ai eu la chance de le découvrir grâce au spéléologue Joël Halgand qui a découvert le site de l’Aven de la Rouvière et puis je me suis intéressé à cette problématique en me posant la question : comment se fait-il que je trouve une cabane de 5000 ans sous un mètre de terre ?
On s’est aperçu que le territoire d’aujourd’hui a totalement été aménagé au cours du temps. On a des endroits, où au XVIème et XVIIème siècle, on voit qu’il y a eu des phases d’aménagements monstrueux. Des murs de plusieurs centaines de mètres de longs, structurent les champs en escaliers, on a drainé l’eau de surface pour alimenter les lavognes. Tout ça, c’est de l’aménagement du territoire qui s’est fait à partir du XVIème siècle.
A l’époque moderne, on a eu une prise en main du territoire par des nobles qui ont relégué les activités secondaires des populations pauvres sur les coteaux, et c’est pour ça qu’on a une agriculture de coteaux qui s’est développée, avec des bancels, parce que c’est des gens qui étaient persuadés qu’il n’y avait rien, mais l’homme de par son génie, à développer cette agriculture là et à trouver un équilibre économique adapté à son environnement.
Donc la découverte de l’habitat est une très grande découverte pour le territoire, quand on a compris l’impact de l’homme sur son environnement, l’érosion de l’environnement, l’ouverture des milieux, les changements sédimentaires, le maître mot là-dedans c’est l’eau ! C’est la mer qui a fabriqué les Causses, c’est l’eau qui les a érodés et qui est, bien sûr, le principal besoin des hommes.
La découverte de l’aven de Rouvière en 1989 et la grotte de la Baumelle en 2010 sont des sites très forts, parce que ce sont des instants : les gens sont partis il y a 5 000 ans et ont fermé ces sites, puis nous on arrive 5 000 ans après. Dans des vrais musées, on mesure la chance qu’on a de voir ça en direct.
La Baumelle est une découverte patrimoniale majeure mais on s’est dit que le plus important c’était de la conserver, c’est pour cela que c’est devenu une réserve archéologique sur laquelle on a physiquement et administrativement blindé la protection du site.
Et aujourd’hui, un site comme la Baumelle, en termes de conservation patrimoniale, est l’idéal à atteindre partout.
Que peux-tu nous expliquer sur le mégalithisme local ?
Le mégalithisme est complexe. Il répond à plusieurs usages : il n’y a pas un mégalithisme, il y en a plusieurs. Le mégalithisme funéraire, le mégalithisme social (dans le sens de la coordination d’une communauté), le mégalithisme religieux probablement et le mégalithisme territorial…
On ne sait pas encore bien les expliquer, on est très loin d’avoir tous les éléments qui permettent de le comprendre. Quand je suis arrivé sur le territoire, j’ai eu un avantage sur cette question, c’est que sur le Causse de Blandas, des gens se sont intéressés au mégalithisme depuis 160 ans donc il y avait déjà de la donnée qui avait été récoltée mais ça reste un beau sujet à la fois scientifique et patrimonial.
Y-a-t-il un endroit sur le Causse où toute son histoire peut être visible ?
Quand on se positionne devant le menhir de la Trivalle à Rogues et que l’on regarde au nord vers le massif du Lingas, on a une vue sur le Saint Guiral, lieu de pèlerinage phare du territoire. Face à soi, on a l’ancienne rivière de la Vis qui passait là pour ensuite rejoindre le Larzac. Sur la gauche de cette grande plaine qui va jusqu’à Montdardier, on retrouve le minéral, le “caillou”, cette terre agropastorale où les gens amenaient leurs moutons parce qu’il y avait un peu d’herbe. D’ailleurs, on voit régulièrement des tas de pierres accumulées appelés clapas.
Quand on regarde côté droit et que l’on observe le contraste des champs notamment au printemps, on a la nature abandonnée à gauche et la nature aménagée à droite et ça, c’est l’identité du Causse.
D’un côté le karst, le côté calcaire, l’érosion géochimique et le creusement du sous-sol, l’évolution de l’environnement, et de l’autre côté, ce que l’homme a dompté, ce qu’il a observé, appréhendé.
L’Homme dans son histoire a utilisé un seul outil et cet outil, on ne l’a plus aujourd’hui : c’est le Temps !
Les visiteurs du musée Cévenol au Vigan peuvent découvrir des objets et des outils en pierre datant du néolithique, témoignant de la vie quotidienne des populations préhistoriques des Causses et Cévennes.